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Maurice Gendre : « pour beaucoup d’Européens de l’Ouest la coupe est archi-pleine »

Chroniqueur pour l’émission francophone de Radio Bandera Nera, Méridien Zéro, Maurice Gendre est un observateur averti de l'information internationale.

RIVAROL : Que pensez-vous des effets de la crise migratoire sur l'Europe?

Maurice GENDRE : Nous vivons ce que j'appelle la phase 2 de la submersion migratoire. La première est celle que nous avons subie au cours des quarante dernières années. Elle avait pour but de transformer le paysage humain de l'Europe de façon continue mais en partie insidieuse.

La phase 1 a bouleversé nos modes de vie et nos mœurs, a contribué à faire exploser nos dépenses sociales, a fait surgir de nouvelles formes de délinquance et de criminalité, a permis à un grand patronat sans scrupules de pratiquer une pression salariale sournoise, a posé les bases de possibles troubles civils d'une gravité extrême.

On peut parler d'un des crimes les plus graves jamais commis contre la France ; une trahison sans équivalent dans l'Histoire de France qui ferait passer le honteux traité de Troyes pour un modèle de dignité.

La phase 2, elle, vise purement et simplement à transformer la France et l'Europe en un véritable vide-ordures planétaire. Contrairement à l'ineffable Francis Huster, j'ai beaucoup de mal à croire que parmi ces marées extra-européennes se trouve le nouveau Montaigne.

Si on en croit les mises en garde du renseignement intérieur allemand, nous avons beaucoup plus de risques d'y croiser de futurs Khaled Kelkal que l'auteur des Essais.

De plus, l'Etat islamique (El) n'a pas fait mystère de son envie d'utiliser cette déferlante migratoire pour s'infiltrer en Europe plus aisément.

L'arrestation en Italie d'un Marocain soupçonné d'avoir participé à l'attentat du Bardo en Tunisie, et qui était arrivé sur une embarcation clandestine partie de Libye en février dernier, constitue une première alerte très sérieuse. Mais celle-ci ne sera probablement pas prise en compte. Il y a quelques semaines, un conseiller du gouvernement libyen a également affirmé à la BBC que Daesh, implanté en Libye, faisait monter sur de petits navires des djihadistes en direction de l'Europe. Mais là encore cette menace est minimisée voire est qualifiée de « fantasme de l’extrême droite » par les Amis du Désastre comme les qualifie fort justement Renaud Camus.

Enfin, outre des associations comme SOS Méditerranée soutenue financièrement par BNP-Paribas, il ne faut surtout pas omettre de mentionner le rôle de fondations américaines comme le très libertarien Ayn Rand Institute ou celui de l'Open Society de George Soros qui affirme sans détour sur son site soutenir les associations venant en aide aux "migrants" légaux et illégaux. En effet, certains cénacles géostratégiques américains voient d'un très bon œil cette déferlante migratoire sur l'Europe, une façon comme une autre d'affaiblir un peu plus le Vieux Continent.

R. : La prise de position de l’Allemagne est-elle la conséquence de 70 ans de culpabilisation, de rééducation et de logique libérale ?

M. G. : Absolument. Mais désormais on a l'impression que l'Allemagne souhaite embarquer tous les Européens dans sa pulsion de mort, son désir d'auto-anéantissement et son masochisme moralisateur ; attitude désarmante qui était déjà à l'œuvre dans le cadre de la crise grecque à travers cette volonté d'humilier toujours un peu plus les Hellènes.

Sans parler des changements continuels de la politique berlinoise dans le conflit russo-ukrainien. Un jour des sanctions contre la Russie, le lendemain les accords de Minsk II, etc.

Une politique de Gribouille qui s'explique aussi par les divisions au sein des classes dirigeantes allemandes : l'oligarchie outre-Rhin présente un discours moins univoque que le nôtre. Les tensions sont sourdes mais réelles entre les réseaux atlantistes et les milieux russo-compatibles par exemple.

Dans la crise migratoire, on voit bien que les obsessions du grand patronat allemand sont éloignées des inquiétudes des services de renseignement. De même, la CSU, branche bavaroise de la CDU, semble être en désaccord avec le parti-frère sur cette question.

Semaine 1, Docteur Angela ouvre grand les frontières et propose « d'accueillir 800 000 migrants » et, semaine 2, Mister Merkel remet en cause les accords de Schengen.

En fait, l'Allemagne ne sait tout simplement plus qui elle est, où elle va, comment et surtout pourquoi. Malheureusement, elle n'est pas la seule dans ce cas en Europe...

R. : La responsabilité des gouvernements occidentaux est totale dans le phénomène avec leur rôle nocif dans la destruction de l'Irak, de la Libye et de la Syrie. Comment la « guerre pour la Démocratie » a-t-elle apporté les pires ravages aux pays qu'elle devait libérer de la dictature ?

M. G. : C'est tout à fait exact. Rappelons d'ailleurs à l'impayable Fabius que l'EI n'a pas été créé par Bachar el-Assad mais a vu le jour en 2006 en Irak et s'appelait d'abord Etat islamique en Irak avant d'être  renommé  Etat islamique en Irak et au Levant à partir d'avril 2013, pour finalement s'appeler Etat islamique (El) après la proclamation du califat par Abou-Bakr Al-Baghdadi à l'été 2014.

On ne dira jamais à quel point cette politique systématique de déstabilisation, ce prétendu « chaos créatif », ces interventions "humanitaires", ce funeste « devoir d'ingérence » remaquillé par quelques spécialistes de l'ingénierie sociale en « responsabilité de protéger » (la fameuse R2P) et la tarte à la crème du nation-building ont provoqué des centaines de milliers de morts, des blessés et des invalides en nombre incalculable, coûté la vie en très grand nombre à des jeunes soldats américains et européens sur ces théâtres d'opérations.

Le bilan humain est effroyable, les résultats calamiteux. La menace terroriste n'a jamais été aussi élevée, les déplacements de populations prennent une tournure d'exode biblique et le chaos semble être installé pour un très long moment, en Libye notamment. Sauf peut-être si l'un des fils Kadhafi, Seif ai-Islam, revenait aux manettes. Et là, on est évidemment tenté de dire : tous ces massacres pour en arriver là. 

Les Bush,Blair, Sarkozy, Cameron, Juppé, Fabius, BHL, Obama, Hollande, les Clinton, sans oublier les dirigeants israéliens successifs toujours en embuscade, sont responsables ET coupables de ces tragédies. Tous épaulés évidemment par les monarchies pétro-gazières du Golfe et les néo-ottomans Erdogan et Davutoglu.

R. : Que vous inspire la campagne médiatique pour l’accueil des "migrants" ?

M. G. : Tout d'abord, vous avez parfaitement raison de mettre "migrants,, entre guillemets. Utilisons les expressions qui conviennent et parlons de clandestins voire carrément d'envahisseurs. D'après la définition du dictionnaire Larousse "envahir" consiste à : « pénétrer quelque part en nombre, de manière abusive ou non autorisée ; occuper, faire irruption dans un lieu ». Le terme "envahisseur" convient donc parfaitement à la situation présente.

La campagne médiatique à proprement parler est une opération psychologique de grande envergure. Même les promoteurs du « Je suis Charlie » et autres thuriféraires de l'introuvable « esprit du 11-Janvier » ont été littéralement enfoncés . Toutefois, cette entreprise de sidération, même si elle a partiellement fonctionné, n'a pas eu l'ampleur de celle de janvier dernier. Il faut dire que les Européens de l'Ouest, malgré 70 ans de culpabilisation intensive et une auto-flagellation de tous les instants, ont plus que goûté depuis quatre décennies aux "délices" du multiculturalisme mortifère et à son cortège de grandes misères. D'où un emballement somme toute très relatif pour une nouvelle campagne sur le thème « laissez venir à nous les petits immigrés ». Bien sûr, certains zombies subsistent (les Charlie notamment) et en demanderont toujours plus mais pour beaucoup d'Européens de l'Ouest la coupe est archi-pleine voire déborde totalement. Et depuis longtemps.

Pour nos frères d'Europe de l'Est, leur seuil de tolérance est heureusement bien moins élevé que le nôtre et leur système immunitaire n'est pas aussi affaibli.

C'est là un des très rares avantages qu'a pu présenter le soviétisme : le soviétisme pétrifie. Et quand celui-ci par bonheur se désagrège, il laisse à peu près intactes les structures ou permet de les faire renaître plus aisément, tandis que le libéralisme-libertaire, lui, liquéfie absolument tout. Difficile de rebâtir quelque chose de solide et de tangible après une liquéfaction.

A propos du soviétisme, je me permets une parenthèse, il n'est pas inutile de remarquer que c'est déjà la courageuse Hongrie qui s'opposait au Moloch soviétique en 1956, et c'est encore aujourd'hui la patrie de Saint Etienne qui tente de faire face au monstre européiste et à ses diktats. Viktor Orban était d'ailleurs un opposant durant la période communiste. Difficile de ne pas faire un parallèle.

R. : Les média du Système évoquent les théories complotistes pour attaquer les thèses dissidentes. Que vous évoque ce genre d'arguments ?

M. G. : Difficile de ne pas y voir une forme d'embarras. Aujourd'hui pour qui se donne l'effort de fouiller et de creuser un peu, tout ou presque, peut être trouvé. Pierre Hillard a découvert des dossiers incroyables en travaillant quasi uniquement à partir de sources ouvertes !

Les ploutocrates transnationaux sont comme les tueurs psychopathes. Très souvent ces derniers ne peuvent s'empêcher de revenir sur les lieux de leurs crimes, l'hyper-classe, quant à elle, ne peut s'empêcher de laisser à droite à gauche (sur internet notamment) les traces de ses méfaits. Et le tout consultable gratuitement et librement sur les sites officiels des gouvernements, des fondations, des officines et autres organisations para-gouvernementales. Peut-être faut-il aussi voir derrière ces preuves de culpabilité laissées ça-et-là, tels des Petit Poucet maléfiques, un sentiment d'impunité et de toute-puissante qui confirme, s'il en était encore besoin, que certains dirigeants sont d'authentiques sociopathes.

L'accusation de complotisme est certes très commode, mais elle relève de plus en plus de la pensée-réflexe voire d'une diversion pure et simple qui ne vise qu'à paralyser l'empêcheur de tourner en rond. Il suffit de la balayer d'un revers de la main et de poursuivre sereinement son argumentation en renvoyant - et c'est là le point crucial - vers les sources officielles aussi souvent que cela est possible.

R. : Autre menace majeure pour l'avenir de l'Europe, en quoi consiste le Traité Transatlantique entre l'Union Européenne et les Etats-Unis ?

M. G. : Pour résumer en une phrase : le traité transatlantique (TAFTA) a pour objectif d'abaisser les barrières tarifaires et non-tarifaire s entre les Etats-Unis et TUE. Cela concerne donc les droits de douane (de façon secondaire), mais cela vise surtout à harmoniser (comme ils disent pudiquement) les normes sociales, sanitaires, législatives et environnementales entre les deux rives de l'Atlantique.

Si par malheur le TAFTA venait à entrer en vigueur, il serait le pendant de l'OTAN sur le plan économique. Le TAFTA est le stade suprême d'un des segments du mondialisme, l'occidentalisme.

Une façon pour les Etats-Unis d'arrimer de manière quasi-irréversible l'Europe et de la couper de la Russie.

Enfin, il faut dire un mot des tribunaux spéciaux d'arbitrage (ISDS) qui présentent le risque immense de permettre aux grandes entreprises de faire condamner et plier les Etats qui auraient une législation trop protectrice à leurs yeux ; législation « trop protectrice » qui contreviendrait à la concurrence libre et non faussée, au libre-marché et entrerait donc en opposition avec l'esprit du traité. Le poids de ces tribunaux spéciaux pourrait faire disparaître le peu de souveraineté étatique qui aurait encore échappé au rouleau compresseur bruxellois.

R. : En Ukraine, le bras de fer entre l'Occident et la Russie se poursuit. Quel est l'enjeu réel de ce conflit voilé ?

M. G. : Je vous renvoie aux déclarations très éclairantes et très instructives (les fameuses preuves dont nous parlions plus haut) formulées par le fondateur de Stratfor (surnommée la CIA de l'ombre), George Friedman, devant le Chicago Council on Global affairs, le 4 février 2015 (la vidéo est disponible sur la Toile) : « L'intérêt primordial des Etats-Unis pour lequel nous avons fait des guerres pendant des siècles, lors de la première, la deuxième et la guerre froide, a été la relation entre l'Allemagne et la Russie parce que, unis, ils représentent ta seule force qui pourrait nous menacer et nous devons nous assurer que cela n'arrive pas. [...] Ce que vous faites, si vous êtes un Ukrainien, ce qui est essentiel, c'est d'établir le dialogue avec le seul pays qui vous aidera, et ce pays, ce sont les Etats-Unis. La semaine dernière, il y a une dizaine de jours, le général Hodges, commandant de l'armée américaine en Europe, s'est rendu en Ukraine. Il y a annoncé que les formateurs américains viendraient désormais officiellement, et non plus officieusement ; il a remis des médailles aux combattants ukrainiens - ce qui est contraire au règlement de l'armée qui ne permet pas de décorer des étrangers - mais il l'a fait. Ce faisant, il a montré que c'était son armée. [...] Faisant tout cela, les Etats-Unis ont agi en dehors du cadre de l'OTAN, parce que dans le cadre de l'OTAN il doit y avoir un accorda l'unanimité et n'importe quel pays peut opposer son veto sur n'importe quoi [...]La question à l'ordre du jour pour les Russes est : vont-ils créer une zone-tampon qui serait au minimum une zone neutre, ou bien l'Occident s'introduira tellement loin en Ukraine... et s'installera à 100 km de Stalingrad et à 500 km de Moscou. Pour la Russie, le statut de l'Ukraine représente une menace pour sa survie, et les Russes ne peuvent pas laisser faire. [...]

La question à laquelle nous n'avons pas de réponse est : Que va faire l'Allemagne ? La vraie inconnue dans l'équation européenne ce sont les Allemands. Pendant que les Etats-Unis mettent en place le cordon sanitaire entre l'Europe et la Russie, pas en Ukraine mais à l'ouest, et que les Russes essaient de trouver comment tirer parti des Ukrainiens, nous ignorons la position allemande. L'Allemagne est dans une situation très particulière : l'ancien chancelier Gerhard Schrôder est membre du conseil d'administration de Gazprom et ils ont une relation très complexe avec les Russes. Les Allemands eux-mêmes ne savent pas quoi faire : ils doivent exporter, les Russes peuvent acheter ; d'autre part, s'ils perdent la zone de libre-échange, ils doivent construire quelque chose de différent. Pour les Etats-Unis, la peur primordiale est la technologie allemande et le capital allemand, avec les ressources naturelles russes et la main-d'œuvre russe, ce qui est la seule combinaison qui a fait très peur aux Etats-Unis pendant des siècles » (sic)

R. : L'intervention russe en Syrie sera-t-elle une aide importante pour écraser les islamistes ?

M. G. : Depuis quelques semaines, cette intervention paraissait inévitable. Les Russes sont légitimement terrifiés à l'idée de voir les djihadistes de Daesh débarquer en masse dans le Caucase. Ils ont décidé de frapper de façon directe et officielle contre l’EI. Les Russes savent que la chute de Damas ouvrirait les Portes de l'Enfer, donc ils veulent tout faire pour éviter cette catastrophe.

Le risque d'un désaccord russo-américain sur ce dossier pourrait être cependant lourd de conséquences si des incidents avaient lieu entre les deux superpuissances militaires.

R. : Dans une période aussi noire, voyez-vous des raisons de garder l’espoir ?

M. G. : Soyons honnêtes, c'est extrêmement difficile. Mais l'Espérance est au cœur même de notre foi. Nous ne pouvons donc baisser les bras. C'est un Devoir. Et comme l'a enseigné Dominique Venner, il ne faut jamais sous-estimer l'imprévu dans l'Histoire.

Et j'ajouterai qu'en ce qui concerne la France, malgré l'acharnement de quelques-uns, sa vocation surnaturelle n'a peut-être pas été totalement engloutie. Donc sait-on jamais, il n'est pas dit que la Fille aînée de l'Eglise ait dit son dernier mot.

 

Propos recueillis par Monika BÉRCHVOK. Rivarol du 15 octobre 2015

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